Une approche à l’échelle de l’ouvrage

Les connaissances du comportement mécanique des ouvrages de génie végétal s’affinent, mais leurs variabilités ne permettent pas de tirer des conclusions définitives. Ainsi, le dimensionnement est essentiellement empirique et repose sur le savoir-faire des spécialistes. Toutefois, lorsqu’une étude hydraulique du cours d’eau est disponible, la contrainte tractrice est retenue pour étayer la décision. Il s’agit d’un paramètre classique pour apprécier les interactions hydrauliques et structurelles. Des retours d’expériences ont aussi permis de faire le lien entre la contrainte tractrice et la résistance des ouvrages (Lachat B. 1994 ; Schiechtl H. et Stern R. 1996 ; Fischenich C. 2001 ; Venti D., Bazzurro F. et al. 2003 ; Faber R. 2004).

L’amélioration des méthodes de dimensionnement des ouvrages de génie végétal peut ainsi être conduite par une approche empirique en confrontant les techniques utilisées par le passé avec les contraintes érosives qu’elles ont subies lors des crues. À l’heure actuelle, la contrainte tractrice est le paramètre le plus utilisé pour caractériser la résistance des ouvrages de génie végétal face aux forces hydrauliques. La contrainte tractrice est la force tangentielle due à l’eau qui s’exerce par unité de surface du lit (ou des berges), en N/m². Pour autant, seul un faible nombre de mesures de ce paramètre a été trouvé dans la littérature en ce qui concerne les ouvrages de génie végétal, et l’évolution de ces valeurs au cours du temps (la résistance des ouvrages augmentant généralement avec le temps) n’a été que peu étudiée.

Il faut garder à l’esprit que les choix qui sont faits pour calculer ces valeurs de contrainte tractrice génèrent une part d’incertitude liée à une série d’approximations. Il paraît important de rappeler que ces valeurs ne sont donc à prendre qu’à titre indicatif. L’existence d’une très grande variété de techniques et d’une grande possibilité de variations sur chaque technique crée également une incertitude autour de certaines valeurs. Par exemple, on sait que de nombreux ouvrages possèdent des enrochements en pied de berge, qui en toute logique renforcent l’ouvrage. Mais la présence ou non de ceux-ci, ainsi que leur hauteur ne sont pas précisées dans la littérature, ce qui peut mener à des valeurs de contrainte tractrice plus élevées que ce à quoi la seule partie végétale de l’ouvrage aurait pu résister. Gerstgraser (1998) confirme dans son article la forte disparité des valeurs pour un même type d’ouvrage. De plus, les valeurs ne sont souvent pas mesurées mais calculées.

L’approche utilisée ici est empirique et consiste au recueil d’observations sur la bonne tenue ou la destruction des ouvrages lors de crues importantes. Au travers de celle-ci, et en travaillant sur 21 sites dans ou aux environs de l’arc alpin français et suisse, nous avons pu calculer 51 nouvelles valeurs de contraintes tractrices, dont 5 sur des ouvrages qui s’étaient rompus. Ces valeurs ainsi que celles préexistantes de la littérature sont ainsi recensées dans la figure suivante (Leblois S., Evette A. et al. 2016).

Ensemble des valeurs de contraintes tractrices en fonction de l’âge de l’ouvrage. Les valeurs limites extraites de la littérature sont représentées en noir et toutes les valeurs calculées durant l’étude sont représentées en couleur (Leblois, Evette et al. 2016).

Ce graphique permet de visualiser les valeurs maximales de contrainte tractrice calculées pour des ouvrages de plus de trois années (issues de la littérature et de Leblois S., Evette A. et al. 2016). Ce sont des valeurs de contraintes tractrices obtenues soit pour une crue qui a rompu l’ouvrage, soit pour une crue que l’ouvrage a supporté. Il s’agit donc d’un ensemble de valeurs qui bornent la valeur limite de la résistance de la technique. Sur les trois premières années, on peut constater que les valeurs trouvées pour les caissons en bois végétalisés et les couches de branches à rejet sont plus faibles que les valeurs qui étaient déjà établies. Ce résultat permet de s’interroger sur ces quelques valeurs extrêmement élevées présentées dans la littérature. Au contraire, sur des ouvrages de type lit de plants et plançons et fascine de saule, l’étude a permis d’établir de nouvelles valeurs limites de contrainte tractrice sur ces trois premières années.

Sur ce graphique, on peut constater que la majorité des calculs ont été effectués sur des ouvrages de moins de cinq ans. Nombre de ces données correspondent aux sites du projet Géni’Alp déjà mentionné (ouvrages construits sur des rivières ou torrents à forte pente : 5 à 10 %), d’où les importantes contraintes tractrices (Evette A., Frossard P.-A. et al. 2017).

La résistance de l’ouvrage de génie végétal tend à augmenter au fil des années, jusqu’à atteindre un maximum. Il est donc intéressant de connaître la résistance des ouvrages aux contraintes hydrauliques en fonction de leur âge. Ce repère temporel est parfois manquant pour les valeurs trouvées dans la littérature. À la vue des valeurs trouvées, on constate aussi que les connaissances sont faibles sur la résistance de ces ouvrages sur le plus long terme (au-delà de trois ans).

Photo de la vidange d’un ouvrage constitué par une fascine protégée par un enrochement de pied © Guillaume Piton.

Dans l’idéal, pour le dimensionnement, il s’agit de trouver une valeur limite à laquelle l’ouvrage cède. Dans les faits, ceci est compliqué car tant que l’ouvrage résiste, on peut supposer qu’il aurait pu supporter une plus grande contrainte tractrice et s’il cède, il est extrêmement complexe d’en déceler les raisons a posteriori. En effet, d’autres phénomènes, que le calcul de contrainte tractrice ne prend pas en compte, peuvent aussi être à l’origine de la rupture de l’ouvrage, et en particulier une mauvaise conception de l’ouvrage, avec par exemple, des ouvrages construits en talus de forte pente et hauteur et cédant par glissement dû à des infiltrations d’eau souterraine, ou encore la mortalité des plantes, le contournement de l’ouvrage par la rivière, ou la vidange de l’ouvrage par en dessous suite à affouillement de pied, sous-cavage et apparition d’une cavité sous l’ouvrage (photo ci-dessus).

Pour aller plus loin

Faber, R., 2004. New techniques for urban river rehabilitation. Specifications for new materials and techniques improve instream morphology soil-bioengineering. IWHW-BOKU, Vienna, 33 p.

Fischenich, C., 2001. Stability Thresholds for Stream Restoration Materials. In: EMRRP (ed) Technical notes collection. U. S. Army Engineer Research and Development Center, Vicksburg, MS, 11.

Gerstgraser, C., 1998. Uferstabilisierungen mit Pflanzen : Was halten sie aus ? Österreichische Wasser und Abfallwirtschaft 50(7-8):p. 180-187.

Lachat, B., 1994. Guide de protection des berges de cours d’eau en techniques végétales (en collaboration avec Ph. Adam, P.-A. Frossard, R. Marcaud). DIREN Rhône-Alpes, Ministère de l’Environnement. Paris, 143.

Leblois, S., A. Evette, A. Recking & G. Favier, 2016. Amélioration des méthodes de dimensionnement des ouvrages de génie végétal en berges de cours d’eau par une approche empirique. Sciences Eaux & Territoires Hors série.

Schiechtl, H. M. & R. Stern, 1996. Ground bioengineering techniques. For slope protection and erosion control. Blackwell.

Venti, D., F. Bazzurro, F. Palmeri, T. Uffreduzzi, R. Venanzoni & G. Gibelli, 2003. Manuale tecnico di Ingegneria Naturalistica della Provincia di Terni, Applicabilità delle tecniche, limiti e soluzioni. Provincia di Terni Servizio Assetto del Territorio – Ufficio Urbanistica / Agenzia Umbria Ricerche, Provinvia di Terni.